
Saperliprophètes
Extrait
Jérémiades XXI
– Tu vois bien et tu me comprends vite, Jérémie. C’est pourquoi j’ai mis toute ma confiance en toi pour sauver ce peuple que j’aime autant qu’il me désole, au point de m’irriter. Oui, je suis si contrarié que je vais attiser la guerre des pays du nord contre tous les habitants de ce pays. Et tu sais pourquoi ! Tu sais qu’ils m’abandonnent tous, qu’ils brûlent des offrandes à d’autres dieux et se prosternent devant l’œuvre de leurs mains.
– Oui, je ne le sais que trop, je…
– Je vais convoquer tous les clans des royaumes du nord contre eux. Déjà ils arrivent à l’entrée des portes de Jérusalem.
– Mais comment puis-je les sauver si c’est toi qui donnes l’ordre de les assaillir ?
– Ne discute pas, Jérémie ! Toi, tu vas te ceindre les reins, te lever et leur annoncer tout ce que je te commande ; ne te laisse pas accabler par eux, sinon c’est moi qui t’accablerai devant eux.
– En quelque sorte, Seigneur, je n’ai pas le choix : si je recule devant l’obstacle, c’est toi qui m’aiguillonnes dans le dos ? Je suis pris en tenailles !
– Décidément, tu comprends vite, Jérémie ! Mais j’entends tes peurs et tes doutes. Alors écoute, aujourd’hui, je fais de toi une place forte, un pilier de fer, un rempart de bronze, face au pays tout entier, face aux rois de Juda, à ses ministres, à ses prêtres et à sa milice ; ils te combattront, mais ils ne pourront rien contre toi : je suis avec toi pour te délivrer de la peur, oracle du Seigneur !
– Merci, c’est trop ! Mais faut-il combattre ton peuple ou le soutenir ?
– Les deux, Jérémie, les deux ! Ecoute donc : je mets en ta bouche toutes mes paroles. Tu es là pour arracher et renverser, pour exterminer et démolir, pour bâtir et planter !
– Toute ma vie ?
– Oui ! Et ce ne sera pas de trop ! Tu avais d’autres projets ?
– En vérité, si tu me redisais plutôt ce qui t’anime, Seigneur.
– Bravo ! Tu me connais déjà très bien. Tu sais que j’aime à répéter sans cesse ce qui me tient à cœur.
– Parle, Seigneur, je t’écoute !
Moi, Pierre, catéchiste en herbe
Extrait
-Non, j’ai pas le droit ! répliqua vivement Marianne.
-Et pourquoi ? qui c’est qui t’a dit ça ? questionna son cousin, Pierre.
-Personne, mais je le sais. Il faut être, comment vous dites, les chrétiens, Il faut être batissé. Il n’y a qu’eux qui ont le droit d’entrer dans les églises.
-Baptisé, pas batissé. C’est pas du fil, c’est de l’eau. On fait couler de l’eau sur la tête, c’est après qu’on prend un tissu pour essuyer.
-Toi tu connais tout dans les églises, reprit Marianne. Moi, rien. Mes parents, ils disent qu’ils sont d’abord et avant tout laïcs, et que Dieu, c’est pas pour eux. Alors que les tiens, mon oncle et ma tante, ils préfèrent être d’abord chrétiens. Ils s’entendent bien quand même, sauf quelques fois. Ça discute fort, tu sais bien. Par exemple, quand ils disent que l’église, elle est toujours fermée, alors que c’est un bâtiment public. Sauf le dimanche, pour les gens qui viennent bien habillés. Alors que la mairie, juste en face, on peut y aller tous les jours. Sauf le dimanche.
-L’église, elle est souvent ouverte le samedi ! contesta Pierre. Le samedi, y’a des mariages. Tous les invités et les mariés s’engouffrent d’abord dans la grande salle de la mairie. Ensuite ils traversent la rue, escaladent les marches de l’église, entrent en procession, font la cérémonie qu’est un sacrement. Après, ils ressortent pour les photos et les grains de riz. Tout fonctionne le samedi, la mairie et l’église.
– J’en ai vu qui n’escaladent pas les marches. Ils filent direct au bistrot et rappliquent pour les photos. Je pense qu’ils ne doivent pas être batissés, euh, baptisés. Une fois, j’ai cru que j’allais y entrer à l’église, quand mon grand cousin s’est marié. Mais il n’y a eu que la mairie et le bistrot. C’était bien aussi, car j’étais jamais rentré dans le bistrot. Mon père m’a fait goûter du champagne en disant : « Bois, c’est meilleur que le vin de messe ! ». C’est quoi, le vin de messe, c’est à l’église ?
-Oui, c’est le curé qui le boit, tu verrais ça, dans un belle coupe qui brille : un calice. Et il a des beaux habits, des verts, des rouges, des blancs. Moi, je peux tout te faire voir, si tu veux.
-Mais j’ai pas le droit.
-T’as le droit, moi je te dis. Personne ne contrôle, d’ailleurs. Même le mendiant rentre. Il monte au premier rang, et parfois il fait des commentaires à haute voix. C’est drôle. Et il communie en disant trois fois « Amen ».
-Il dit quoi ?
– « Amen », ça veut dire, d’accord, merci. Ecoute, dimanche, je passe par chez toi et tu me suis à la messe. Je t’expliquerai tout. Le baptême, les habits en couleur, la communion, la procession avec la croix. Je connais un coin de l’église où on peut se glisser tranquille sans être vus ni entendus.
Voilà pourquoi le dimanche 14 juillet, Marianne avait signifié à son père qu’elle serait parmi les volontaires pour aller à la messe.